Un Requin de l’YCO, Iec’hed Mad, à Helsinki

Le Havre-Helsinki-Locquirec, voici le parcours que nous avons effectué, mon cousin et moi, du 3 juin au 20 août 1952, 3000 milles en Requin pour assister aux Jeux Olympiques d’Helsinki.

L’été 1951, mon cousin Frédéric de Lanascol et moi, remportons la Coupe Snowten, qui consiste à parcourir le plus grand nombre de milles en Requin dans une saison. Les 500 miles parcourus entre La Rochelle et Le Havre nous permettent de bien connaître les réactions de ce bateau, non conçu pour de longues distances. Passionné tous deux d’athlétisme, nous décidons d’aller à Helsinki en Requin pour…assister aux Jeux Olympiques d’été de 1952. Nous avions 24 ans et l’enthousiasme de la jeunesse. Nous quittons notre travail pour préparer cette aventure.

Nous appareillons du Havre le 3 juin 1952, aucun instrument sophistiqué à bord : compas de route, compas de relèvement, cartes, instructions nautiques, pavillons. Et pour gréement : une seule voile avec bôme à rouleau, deux focs et un tourmentin. Pas de moteur auxiliaire bien évidemment : à quoi aurait-il servi en mer du Nord ?

L’arrivée à Nieuwpoort est ensoleillée par le sourire de la secrétaire du port, que nous invitons à prendre un pot à bord. Le lendemain matin, une flottille de dériveurs qui compte de nombreux Snipes nous escorte jusqu’au large. Nous naviguons en permanence à une dizaine de miles de ces côtes peu hospitalières, par vent frais, en se relayant pour des quarts de nuit de 2h30. A l’embouchure de l’Elbe, les cargos venant de Hambourg nous imposent une grande vigilance. L’estimation des distances est d’autant plus difficile qu’un courant contraire est de la partie.

Avant d’emprunter les 98 km du canal de Kiel, nous louvoyons dans les écluses. Le gardien de l’une d’entre elles y est sensible, il nous fait l’honneur de hisser le pavillon français. Quelle joie de découvrir la Baltique, ses très nombreuses îles, l’absence de marée. Nous avions embarqué à bord 20 litres de vin rouge, 20 litres de cognac et autant de vin blanc.  De quoi nous assurer un accueil chaleureux lors de nos escales.

L’archipel de Stockholm s’offre enfin à nous, après 27 jours de mer. Beaucoup de ces îles (il y en a plus de 24 000) sont privées, posées sur la mer comme des jouets d’enfant… Chaque maison possède son mât de pavillon. Lors d’une escale aux îles d’Äland, la presse locale vient à bord pour nous interviewer sur notre croisière. Enfin cap sur Helsinki. La zone finlandaise de Porkala est sous protectorat russe. La navigation de nuit y est interdite. Nous nous faisons remorquer comme tous les voiliers pour contourner cette zone sensible.

Arrivés à Helsinki, on ne sait plus si c’est le bateau ou son équipage qui est le plus heureux de retrouver la terre natale du Requin. C’est un architecte finlandais, Gunnar L. Stenbäck, qui conçoit le Requin (« Haï » en finlandais) en 1930. Après une visite du stade olympique, nous choisissons un souvenir qui nous sera utile : un disque pour Frédéric et un javelot pour moi, ce dernier faisant la route retour scotché sous le pont.

Le 10 juillet, nous amorçons le retour. Un fort vent nous impose 4 jours d’attente à Ymuiden, en Hollande. Nous décidons de rallier l’Angleterre et de suivre la côte jusqu’à Portland Bill. La Manche nous sépare encore de Locquirec. Pendant la nuit, le baromètre chute de manière inquiétante : il passe de 757 à 746 mm. Sûrs de nous et de notre bateau, nous décidons malgré tout de lever l’ancre en début d’après-midi, par vent calme mais sous un ciel de plomb. Vers 19 h, un vent de Nord-est ne cesse de forcir. Nous amenons le génois et prenons 11 tours de rouleau. Les vagues déferlent partout à bord. Trempés, vers 4 h du matin, nous mettons à la cape. Nous nous sentons en toute sécurité. 24 heures plus tard, je demande à Frédéric les caractéristiques du phare des Triagoz, notre objectif. Dans la minute je lui réponds: « mon p’tit gars, je l’ai dans l’étrave » Nous arrivons à Locquirec 2 heures plus tard, dans la nuit du 20 août 1952.

C’est sur Iec’hed Mad que nous avons connu ces émotions intenses, savourant à chaque instant la maniabilité de ce bateau et sa fiabilité par tous les temps. C’est sans doute pour toutes ces raisons que je continue à naviguer à Bénodet sur Armen III (n°469) avec un plaisir sans cesse renouvelé.

 

Bernard de Puineuf